Cette chronique de Marty Warren, le directeur du District 6 des Métallos, a été publiée par le Windsor Star (en anglais).
Jusqu’à maintenant, les éclosions de COVID-19 ont causé des douzaines de décès et infecté des centaines de résidents vulnérables et de membres du personnel dans des maisons de soins de longue durée du comté de Windsor-Essex. Des centaines d’autres décès et des milliers d’infections ont été relevés dans les maisons de soins à travers l’Ontario.
Cette crise sans précédent a mis en évidence la tragédie évitable d’un système déficient qui a échoué et lésé nos aînés pendant des décennies. En même temps, la pandémie attire l’attention sur les travailleuses et travailleurs de première ligne qui sont mal payés et dont les efforts véritablement héroïques empêchent l’effondrement complet du système.
En tant que dirigeant d’un syndicat qui représente des travailleurs dans des établissements de soins de longue durée de la région de Windsor et d’autres municipalités ontariennes, j’ai été attristé d’être témoin de la tragédie humaine que la pandémie a infligée aux résidents et à leurs familles. J’ai été outré face aux difficultés et aux risques inutiles auxquels sont exposés les travailleuses et travailleurs qui persévèrent tant bien que mal et font tout leur possible pour prendre soin des résidents vulnérables qui ont besoin d’eux plus que jamais.
Parmi ces travailleuses et travailleurs impressionnants se trouvent des membres de mon syndicat, le Syndicat des Métallos, au foyer Country Village Homes de Woodslee, le centre de soins de longue durée le plus touché du comté d’Essex. Dans ce foyer de 104 lits, 70 résidents et 28 membres du personnel ont à ce jour été atteints du virus, un total de 98 cas. Tragiquement, 18 résidents sont décédés.
La direction locale du Country Village et le reste du personnel donnent le meilleur d’eux-mêmes afin de protéger les résidents. Comme dans la majeure partie du système, ils ont été inexcusablement laissés à eux-mêmes dans un système chroniquement sous-financé et en sous-effectif, où la motivation des entreprises privés qui est axée sur les profits constitue une force d’entraînement et où le gouvernement et les autorités de santé publique étaient mal préparés à réagir à une pandémie.
Comme dans bien d’autres résidences, on soupçonne que la source de l’éclosion au Country Village ait été un membre du personnel infecté qui travaillait à de nombreux établissements. Sanctionné par le gouvernement de l’Ontario, le modèle d’entreprise fondé sur le profit dans les soins de longue durée a normalisé le travail précaire et obligé les soignants à occuper deux ou trois emplois à temps partiel mal rémunérés à différents établissements afin de gagner leur vie. Auparavant, cette situation constituait un fardeau personnel pour les travailleurs et leurs familles. Aujourd’hui, il s’agit d’un défaut critique de notre système défaillant.
En fait, le gouvernement de l’Ontario l’a reconnu, admettant que cette pratique a provoqué la propagation de la COVID-19 dans les maisons de soins de longue durée. Il a temporairement interdit aux soignants de travailler dans plusieurs établissements (sans indemnisation), mais seulement bien après le début des éclosions.
Alors que la pandémie était déjà bien avancée, les travailleuses et travailleurs, dont nos membres, qui présentaient des symptômes de la COVID-19 et voulaient passer un test n’y avaient pas accès. Craignant d’alourdir la charge de leurs collègues déjà écrasante à l’extrême, nombre d’entre eux se sont sentis obligés de rester au travail. Parmi ceux dont le test était positif, certains se sont vus dire de retourner travailler, même s’ils n’avaient pas d’équipement de protection sûr, comme des masques N95.
Pendant des semaines, les établissements de soins ont réclamé des tests supplémentaires pour les résidents auprès des autorités de santé publique. Il a fallu attendre la mi-avril avant que tous ceux du Country Village passent enfin un test, et d’autres foyers ont même dû patienter encore davantage.
Comme l’a déclaré un membre du personnel, «Nous savions que nous étions à risque dès le début et qu’une éclosion se préparait. Ce n’était qu’une question de temps».
Au Country Village, le syndicat a répondu aux préoccupations de ses membres en leur procurant des fournitures afin de protéger le personnel et les résidents, achetant des équipements de protection qu’il a payés lui-même, particulièrement des masques N95 qui avaient été fabriqués par des collègues Métallos en Ontario.
Pour certains travailleurs, le stress incessant de la crise a été exacerbé parce que la province a interdit au personnel des salons funéraires d’entrer dans les maisons de soins de longue durée pour en retirer les résidents décédés. Il incombe désormais aux soignants, qui s’assoient souvent avec les résidents et les réconfortent dans leurs derniers instants, de placer les personnes décédées dans des sacs mortuaires et de les sortir du bâtiment.
«Nous avions l’habitude de former une garde d’honneur lorsqu’ils venaient chercher un de nos résidents pour lui rendre un dernier hommage, m’a raconté un membre du personnel, très ému. Nous ne le faisons plus maintenant. Plutôt, à la fin de notre quart, on entend un collègue dire : « J’ai dû mettre trois corps en sac aujourd’hui. » C’est déchirant. Je n’ai aucun doute qu’il y aura du stress post-traumatique quand ce sera fini.»
Provoquée par les entreprises et sanctionnée par le gouvernement, la crise que la COVID-19 a mise en évidence dans les soins de longue durée couve depuis des décennies en Ontario. Le système est une parodie cruelle de niveaux de financement et de soins insuffisants qui privent nos personnes âgées de leur dignité et de leur respect au quotidien, imposant des conditions de travail impossibles aux soignants mal payés, alors qu’ils doivent faire face à un stress et un désespoir excessifs à chaque quart de travail.
Ces héros de première ligne et les personnes vulnérables dont ils s’occupent méritent plus qu’une reconnaissance à court terme pendant la pandémie. Ils ont besoin d’une véritable intervention gouvernementale, à savoir l’adoption de réglementations rigoureuses, des investissements et de meilleurs niveaux de soins qui tardent depuis longtemps dans ce système chroniquement déficient.
Le directeur de l’Ontario,
Syndicat des Métallos,
Marty Warren
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