
(Le texte qui suit est une traduction d’une chronique écrite par Briana Broderick, militante de la Prochaine génération des Métallos, et publiée dans le Huffington Post. Lire la version initiale dans le Huffington Post.)
«Ne sous-estimez jamais à quel point ils vous haïssent.»
La première fois que j’ai lu ces quelques mots dans une chronique de journal, je me suis dit que l’auteure était extrêmement pessimiste et cynique. Depuis, j’en suis venue à comprendre qu’elle avait raison. Féministe sans réserve, sans détours et incroyablement réaliste, elle m’a permis de comprendre ce que vivent les femmes qui refusent «de se soumettre pour progresser».
Un élan semblable de franchise à l’égard des personnes au pouvoir a suscité des protestations contre Justin Trudeau à l’occasion du Sommet des jeunes travailleurs et travailleuses du Congrès du travail du Canada le 25 octobre dernier, quand le premier ministre «féministe» et amateur d’autoportraits – «parce qu’on est en 2015» – a fait face à des douzaines de protestataires qui ont décidé de lui tourner le dos.
Étant l’une de ces protestataires, je veux expliquer pourquoi nous avons choisi d’exprimer notre mécontentement à l’égard du gouvernement Trudeau (même si de nombreuses personnes en connaissance de faits historiques se désolent en pensant que l’on puisse être naïf au point de croire que le PRÉSENT gouvernement libéral agirait différemment.)
Qu’il s’agisse de rompre les promesses faites aux jeunes Autochtones, de faire abstraction des préoccupations environnementales, d’appuyer les accords commerciaux des conservateurs qui nuisent aux familles et aux collectivités canadiennes ou de soutenir la déclaration du ministre des Finances voulant que les jeunes générations doivent accepter toute leur vie de se contenter de moins, les problèmes ne manquent pas.
Je dois avouer que je suis privilégiée : je suis une Anglo-saxonne hétérosexuelle cisgenre, de race blanche, de classe moyenne et instruite. Après les hommes cisgenres de race blanche, personne d’autre ne jouit d’autant de privilèges. Je sais que beaucoup d’autres gens voulaient se joindre à nous, mais ils ne le pouvaient pas en raison de leur manque d’expérience, des postes qu’ils occupent dans la fonction publique, de leurs affiliations politiques ou syndicales ou des répercussions potentiellement négatives sur leurs carrières.
La majorité des personnes qui se sont opposées au premier ministre étaient des femmes, celles et ceux qui se présentaient comme LGBTQ, des hommes racialisés et des francophones. La plupart des hommes non racialisés dans la salle ont non seulement refusé de nous appuyer, certains ont même activement tenté de nous dissuader de nous exprimer.
Pendant les deux jours précédents, nous avions discuté de stratégies pour revendiquer un espace, parler franchement et embarrasser les autorités en place dans le but de faire changer le système. Cependant, le moment venu de défendre les causes que nous prétendions tous appuyer, la majorité des hommes non racialisés parmi nous se sont retenus.
La vérité est que la place de ces hommes dans la société était remise en question. En tournant le dos au premier ministre, nous nous opposions à un système conçu intrinsèquement pour les favoriser avant toute autre personne. Comme un grand nombre de militantes et militants de la justice sociale le clament, le système n’est pas défaillant, il a été ainsi conçu – pour priver de leurs droits les femmes, les autres personnes «racialisées» et quiconque peut suggérer que tout changement devrait s’opérer de bas en haut, et les exclure. Ce que j’ai réalisé est que si les hommes blancs ne mènent pas la barque, ils sont souvent sur la défensive.
Nous devons reconnaître que certains confrères non racialisés nous ont témoigné leur appui et ont joint leur voix et leur force à la nôtre. Ils sont véritablement représentatifs d’un mouvement ouvrier inclusif et avant-gardiste, et ils agissent sachant que ce faisant, ils pourraient perdre des possibilités et des avantages. Travailler pour le bien commun n’est pas facile et j’admire la solidarité dont ils font preuve en demandant que d’autres se joignent à nous.
Je veux également aborder la question des déléguées qui ont pris leur distance par rapport à nous. Prenant conscience de la précarité des privilèges à leur portée, certaines femmes acquièrent souvent du pouvoir (et l’acceptation des hommes) quand elles s’opposent aux opinions féministes. Elles se voient contraintes de refuser les théories féministes pour conserver leurs privilèges et être considérées comme «l’un des leurs». Je comprends qu’elles soient tentées de le faire, mais à ces femmes je dis «vous ne serez jamais l’un d’eux». Peut-être vous incluront-ils de manière symbolique, vous placeront-ils sur un piédestal, vous feront-ils défiler devant les caméras, mais ils vous rejetteront rapidement si jamais vous refusez de vous soumettre à l’autorité en place.
L’oppression ne s’arrête pas aux portes du mouvement ouvrier. Elle se manifeste dans nos rangs, nos organes directeurs, nos conventions collectives et elle est exposée à la vue de tous lors de nos congrès. Il ne suffit peut-être plus d’aborder superficiellement les hypocrisies de notre mouvement.
Je ne remettrai jamais en question le fait qu’à titre de femme directe, indépendante et assumée dans un milieu dominé par les hommes, ma présence même puisse être considérée comme une menace, tout comme mon existence et ma détermination à me faire entendre au sein d’une entreprise hégémonique. Je n’oublierai jamais à quel point ils me détestaient parce que j’osais m’exprimer d’une manière tellement différente de la leur en public.
Ne sous-estimez jamais à quel point ils vous haïssent, mais ne les laissez jamais vous empêcher de revendiquer l’espace qui vous revient de plein droit.
Briana Broderick
Vice-présidente de la Fédération du travail de l’Ontario (Jeunes travailleuses et travailleurs)
Coordonnatrice des femmes de la Prochaine génération, district 6, Syndicat des Métallos
Vice-présidente, section locale 2010, Syndicat des Métallos