Bon nombre des attaques de la droite contre les syndicats ont largement porté sur la notion que les syndicats ne sont plus pertinents. Pourtant, comme la présente note de recherche tente de le démontrer, compte tenu de l’inégalité matérielle croissante qui sévit au Canada, il est indéniable qu’ils le demeurent, peut-être même plus que jamais, et les preuves pour le confirmer ne manquent pas.
L’inégalité salariale est en hausse. Comme l’indique clairement l’Organisation internationale du travail (OIT) dans son rapport annuel mondial sur les salaires, ces derniers stagnent depuis 2012-2013 dans les pays développés et, dans certains, ils demeurent inférieurs aux niveaux précédant la récession[1]. En réalité, des salaires stagnants représentent une perte pour les travailleuses et les travailleurs vu que, pendant la même période, la croissance de la productivité du travail a surpassé celle des salaires réels. Par conséquent, dans certaines grandes économies développées, la part du revenu national attribuée au travail a chuté[2]. Le Canada est également aux prises avec une telle inégalité. Le rapport récent d’une analyse de données de Statistique Canada fait ressortir que de 1999 à 2012, le patrimoine moyen des familles du quintile de revenu supérieur s’est accru de 80 %, soit de 721 900 $ à 1,3 million de dollars [3]. Par comparaison, celui des familles du quintile de revenu inférieur a augmenté à 109 300 $ seulement[4]. Pour cette raison, le Canada occupe un rang déplorable, soit le 12e sur 17 pays quant à l’égalisation des revenus, et le Conference Board du Canada lui attribue la note «C» pour ce qui est de promouvoir un niveau de vie équitable[5].
Une raison sous-tendant une telle inégalité est liée aux attaques incessantes contre les syndicats et au déclin de la densité syndicale qui en a découlé. Une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT) souligne que la baisse de densité syndicale représente plus d’un quart de la hausse de l’inégalité au cours des 30 dernières années[6]. Cette hausse s’explique par le fait que, contrairement aux emplois non syndiqués, les emplois syndiqués procurent deux types d’avantages : une prime salariale[7], et une prime du vote syndical[8], qui tous deux combattent l’inégalité.

La prime salariale est sans doute évidente vu que les syndicats aident leurs adhérents à obtenir une meilleure rémunération. Les syndicats réduisent les écarts de revenu, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du lieu de travail. Comme l’explique l’économiste Paul Krugman, la prime salariale se manifeste de deux façons en milieu de travail. Premièrement, les syndicats sont reconnus pour resserrer les écarts de revenu au sein même de l’unité de négociation en négociant des hausses salariales plus importantes pour les membres de l’unité les moins bien rémunérés[9]. Deuxièmement, l’écart de revenu entre les cols bleus et les cols blancs est réduit du fait que les syndicats favorisent «une hausse du salaire des cols bleus comparativement à ceux des gestionnaires et professionnels»[10] (traduction). Les augmentations de salaires que les syndicats obtiennent pour leurs membres influent également sur les salaires des non-syndiqués. Les employeurs non syndiqués sont souvent forcés de contrer l’attrait des campagnes de syndicalisation en rehaussant le niveau de vie de leurs employés[11].
Le travail de chercheurs du Fonds monétaire international (FMI) vient renforcer l’analyse de Paul Krugman. Dans une étude récente, ils démontrent qu’une densité syndicale inférieure augmente les parts de revenu des mieux rémunérés en réduisant le pouvoir de négociation des travailleurs[12]. La désyndicalisation peut affaiblir les gains des travailleurs à moyen et à faible revenu, ce qui augmente naturellement la part de revenu dans la paie des gestionnaires et le rendement des actionnaires[13]. Par conséquent, il est évident que, contrairement aux emplois non syndiqués, les emplois syndiqués luttent contre l’inégalité matérielle en réduisant les iniquités salariales.
La deuxième raison voulant que le déclin de la densité syndicale puisse être associé à la hausse de l’inégalité au Canada est que les emplois syndiqués s’accompagnent de la prime du vote syndical. Dans les sociétés démocratiques comme le Canada, les décisions d’orientation, qui influent sur nos vies au quotidien, relèvent généralement des représentants élus. Pourtant, les données d’Élections Canada révèlent que la participation électorale régresse depuis 1963[14]. D’après les recherches, la diminution la plus prononcée se retrouve chez les personnes marginales de la société : les jeunes travailleurs, ceux qui possèdent moins d’années de scolarité et les citoyens issus de l’immigration[15]. Il s’agit sans doute du groupe de personnes qui risque d’accuser le plus grand retard à mesure que la richesse devient de plus en plus concentrée.
Quel est le lien avec les syndicats? Cette diminution de la participation électorale s’accompagne d’un déclin de la densité syndicale. Depuis très longtemps, les syndicats sont fiers de mobiliser et de renseigner les Canadiennes et les Canadiens de la classe moyenne sur l’importance des services publics. Dans une étude, les chercheurs font valoir qu’en raison du fait que les syndiqués sont exposés aux formalités de la négociation collective et qu’ils se présentent aux élections syndicales, ils sont plus susceptibles de s’intéresser davantage au processus démocratique canadien en dehors du lieu de travail et disposés à y prendre part[16]. Ainsi, en tenant compte de toutes les formes de comportement électoral observé, les syndiqués sont de 10 % à 12 % plus susceptibles de voter que les non-syndiqués, et la probabilité qu’ils votent aux élections municipales s’élève à 20 % de plus comparativement aux non-syndiqués[17]. Ces tendances liées à la participation électorale sont plus prononcées chez les groupes sous-représentés quand il s’agit de voter, à savoir ceux qui possèdent moins d’années de scolarité, les immigrants et les jeunes travailleurs[18]. Non seulement les membres de ces groupes sont-ils moins portés à voter, mais ils sont aussi devenus de plus en plus marginalisés face à la concentration de la richesse. Par conséquent, il n’est pas surprenant de constater que, quand il se produit une baisse des emplois syndiqués qui aident les personnes en marge de la société à exercer leur droit démocratique pour leur propre mieux-être, l’écart entre les nantis et les démunis augmente.
L’inégalité ayant atteint des niveaux record et l’abondance de recherches exposant en détail comment les emplois syndiqués contribuent à lutter contre une telle inégalité, il ne faut pas s’étonner que la perception publique des syndicats, et leurs défenseurs, soit en hausse dans des pays comme le Canada et les États-Unis. D’après les résultats d’un sondage Gallup récent, près de six Américains sur dix ont une opinion favorable des syndicats, soit une hausse de 10 % depuis 2009[19]. Il en est de même au Canada : fort de l’appui des syndicats, le Nouveau Parti démocratique semble faire fond sur sa victoire historique en Alberta et il entrevoit la plus grande possibilité de son histoire de remporter les élections fédérales actuelles. Manifestement, les syndicats demeurent pertinents – maintenant plus que jamais.
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[1] Organisation internationale du travail. «Rapport mondial sur les salaires 2014/15 : salaires et inégalités de revenus», Genève, Service de production, impression et distribution des documents et publications (2015) v.
[2] Idem, xvi.
[3] Statistique Canada. «Les variations du patrimoine selon la répartition du revenu, de 1999 à 2012», Ottawa, 1.
[4] Idem.
[5] Le Conference Board du Canada. «Income Inequality», consulté le 17 août 2015, http://www.conferenceboard.ca/hcp/details/society/income-inequality.aspx.
[6] Frandsen, Brigham R. «Why Unions Still Matter: The Effects of Unionization on the Distribution of Employee Earnings», Massachusetts Institute of Technology (2012) 30.
[7] L’expression «prime salariale» représente la mesure dans laquelle les salaires des syndiqués dépassent ceux des non-syndiqués. L’expression est utilisée couramment en économie ouvrière et apparaît dans les ouvrages de nombreux économistes, notamment ceux de Paul Krugman.
[8] Alex Bryson, Rafael Gomez, Tobias Kretschmer et Paul Willman utilisent l’expression «prime du vote syndical» de façon similaire à l’expression «prime salariale» dans le présent cas pour montrer à quel point les travailleurs syndiqués sont plus susceptibles de voter que les non-syndiqués.
[9] Krugman Paul. «The Great Compression» dans The Conscience of a Liberal, New York, W. W. Norton & Company Inc., 51.
[10] Idem.
[11] Idem.
[12] Fonds monétaire international. «Le pouvoir et le peuple», Finances et développement (2015) 31.
[13] Idem, 31.
[14] Élections Canada. «Estimation du taux de participation par groupe d’âge», consulté le 17 août 2015, http://www.elections.ca/content.aspx?section=res&dir=rec/part/estim&document=index&lang=f.
[15] Bryson, Alex, Rafael Gomez, Tobias Kretschmer et Paul Willman. «Workplace Voice and Civic Engagement: What Theory and Data Tell Us About Unions and Their Relations to the Democratic Process», Osgoode Hall Law Journal (2013) 981.
[16] Idem, 965.
[17] Idem, 984 et 987.
[18] Idem, 987.
[19] Gallup. «Americans’ Support for Labour Unions Continues to Recover», consulté le 17 août 2015, http://www.gallup.com/poll/184622/americans-support-labor-unions-continues-recover.aspx.
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